Les mots surlignés font l'objet d'une note
1Monseigneur, monsieur de Saint-André m’a envoyé par le changeur de
2Luan la lettre que vous lui avés escritte du IIIe de ce moys, avec les copies
3de celle que vous avés receu du sieur de Chastellard du XXIe juliet et des
4articles contre vous présentés par la noblesse de la religion de Daulphiné
5pour raison desquels articles vous deliberiés m’escrire affin de vous en mander
6ce que m’en semble. Il me deplait n’estre auprès de vous ou en lieu que je vous
7y peusse faire davantage de service selon l’affection et obligation que j’en ay.
8et ne puis de moins qu’estre marry de veoir qu’au lieu d’estre gratifié
9comme vous vertus et services meritent, il vous faille defendre de ces
10calumnies. En quoy neanmoins vous avés la fortune comme à plusieurs autres
11grands personages, lesquels, quelques sages et advisés qu’ils soyent en
12toutes leurs actions, ne se peuvent garder d’estre hurtés et travaillés
13là où d’autres, quelques negligens, licentieux et dissolus qu’ils soyent,
14ne laissent pourtant de passer leur aage sans riolte ny fascherie.
15Mais Dieu scait pourquoy il le fait, et si se faut asseurer qu’Il
16fait le tout pour le mieux, voire qu’Il ne laisse jamais les gens
17de bien tumber en confusion, qu’à la fin ilz ne resortent
18à leur honneur, come j’ay bien ferme espérance que vous, monseigneur, ferés
19de tout cecy, et ce de telle sorte que votre vertu et vous actions
20n’en reluiront que devantage ; ce que outre l’expérience
21du passé, je dis avec d’autant plus d’asseurance que je scay
22de quelle syncerité vous vous estes tousjours manié en votre charge ;
23aussi que par le discours des complainctes, je ne veoy chose de laquelle vous
24ne vous puissiés très bien justifier et fère cognoistre qu’il faut bien
25que votre cas soit nect, puisqu’après une si animeuse
26recherche l’on a esté contrainct recourir à telles inventions
27et deguisemens, comme vous scaurés trop mieux remonstrer
28par le menu. Et neantmoins, pour satisfère à ce que vous desyrés
29de moy et pour vous relever aucunement, je vous ay bien voulu
30dresser un project auquel vous pourrés adjouxter ou detraire,
31[v°] comme par votre prudence vous verrés estre pour le mieux ; seulement
32vous supplieray-je de deux choses : l’une est de vouloir plus tost
33temperer le style desdites responces que l’aigrir, quelque juste
34occasion que vous puissiés avoir de vous resentir, ayant esgard que cela
35sera plus agreable à vous principaux amys et desquels en cecy
36vous devés attendre plus de bons offices, avec ce que d’allieurs il appartient
37à la reputation de votre sagesse d’en user plus tost ainsi que d’entrer
38en plus grands picques et estriver avec ceux qui vous sont
39en toutes sortes inférieurs, attendu aussi que le roy doit estre
40le juge de votre cause ; l’autre chose dont je vous veux prier est
41que neanmoins il vous plaise ne mectre ceste affère à non
42challoir comme par un juste desdaing, ains vous defendre vivement
43affin que vos adversaires et envieux ne se puissent vanter
44d’estre venus à leurs attainctes ou d’avoir gaigné quelque advantage
45sur vous, ce que avec supportation vous pourrés trop mieux faire
46en temperant vos responces et remonstrances de toute froideur ;
47et ce faisant le cueur me dict qu’avec layde
48de Dieu l’issue vous sera aussi honorable et advantageuse que le
49fust à l’autre foys, et sera encor peut-estre cause que toutes
50choses s’accommoderont, car il faut que je vous confesse que j’ay tousjours
51eu une grande envie de veoir celle querelle cessée, de la
52quelle je tiens que tout cecy soit procedé. Ce que toutesfoys, en foy
53d’homme de bien, je ne faisois pour autre respect que pour ce qu’il
54me sembloit, comme aussi il faisoit à monsieur le premier president,
55qu’il estoyt à doubter qu’à la longue l’on en
56veint à ce que nous veoyons et que cela vous altera vos amys.
57Mais il semble que c’estoyt une chose fauce. Je ne croy pas que
58les complaignans tendent d’avoir ne monsieur de Maugeron, ne monsieur
59de Suze, et quant ilz y auroyent pensé, leurst superieurs
60[f° 207] ne seroient de cest advis ; et y a plus d’apparence qu’ils tascheroyent
61d’avoir monsieur le comte de Vantadour duquel ils s’asseureroyent plus.
62Mais quelque beau-frère que monsieur le duc de Montmorancy luy soit, je tiens
63qu’il vous est trop franc amy pour y consentir, et de fait
64j’ay aprins d’un bon personage qui estoit auprès de luy quant il receut
65la nouvelle que vous estiés mort à la charge que vous eustes
66au-delà du Poulsin, lequel m’a asseuré qu’il vous plaignit grandement
67avec les larmes aux yeux ; et veux croire qu’il temperera
68voluntiers l’affection de celuy, lequel on vous a escrit avoir esté
69de ceux qui avoyent presenté lesdictes plainctes, duquel je m’esbahis
70et si vous diray neantmoins pour advertissement que quant à celles que l’a dict, ce sont bien quelques foys
71de ses traicts comme (si je m’en puis souvenir) je vous feray
72un jour le conte d’un semblable traict qu’elle feist en ce pais
73pour aigrir davantage une malvueillance.
74Au surplus, monseigneur, j’ay à vous remercier très humblement
75de tant de bone volunté que vous avés déclarée en mon endroit
76sur ce qui a naguères passé en court à l’occasion de l’extreme
77maladie de mondit sieur le president, de la guerison duquel je
78m’asseure que vous croirés assés que je suys trop plus ayse
79que je ne scauroys estre de son estat, et loue Dieu quil nous
80aye conservé un si digne et vertueux amy, chose qui nous peut
81faire plus defaut que telles, ne plus grandes dignités,
82lesquelles, selon mon contentement, ne me defaillirent encor
83jamais. Et sur ce après, mes très humbles recommandations
84à votre bonne grâce, je supplie Nostre Seigneur qu’il vous done,
85Monseigneur, en toute prosperité, très longue vie. De
86Montpellier, ce XIIIe jour d’aoust 1572.
87Votre très humble et très affectionné
88serviteur.
89Bellievre
90Madame de Gordes verra icy
91s’il luy plait mes semblables recommandations
92à sa bonne grâce.
93[En marge, à gauche :] Outre le project des responces, j’en ay fait un de la lettre
94que vous pourriés escrire au roy ou à la royne, changeant ce que (feust]
95à changer avec lesdites responces ou sans icelles, comme il vous viendra.